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mardi 31 janvier 2012
L'erreur est humaine !
Cours sur Vérité et Illusion


Chacun connait bien le proverbe « l’erreur est humaine ». Que dit cette expression, que dit-elle de l’erreur, et que dit-elle de l’humain ? En quoi l’erreur est-elle humaine ? Quelle est la positivité de l’erreur ? En quoi la non prise en compte de l’erreur et de sa positivité est-elle finalement inhumaine ? L’erreur n’est certes pas synonyme de faute, et pourtant on les assimile souvent. La faute n’est pas seulement une erreur que l’on condamne moralement : bien souvent l’erreur de l’Autre est constitutive de la faute. Il s’agirait donc au moins de déculpabiliser l’erreur, d’aller au-dela de la faute ; il s’agirait d’aller vers la civilisation en reconnaissant les vertus civilisatrices de l’erreur elle-même, en tant qu’elle fait partie intégrante de toute recherche.

Donc l’erreur est humaine, mais à quel « niveau » elle est humaine ? Quel genre d’erreur ? Toute sorte d’erreur ? On le voit bien, il nous faut commencer par définir l’erreur. Un brin d’étymologie. Erreur vient du latin « error », course à l’aventure, et de « errare », errer. En français l’erreur n’est pas un terme formidablement ambigu ou polysémique, tout simplement parce que cela semble le contraire de la vérité, dans ses deux dimensions principales, à savoir vérité logique et expérimentale. 2 plus 2 égale 5 est une erreur de calcul, un jugement contraire à la logique mathématique. Il neige aujourd’hui est une erreur, un jugement contraire à la réalité des faits. De ce double point de vue, l’erreur est une privation de connaissance, ce qui est un phénomène humain en effet. Nous n’aurons aucune difficulté à souligner la positivité de l’erreur : puisque ne se trompe que celui qui cherche la vérité, la vérité a besoin de l’erreur pour apparaître. L’erreur n’est qu’une vérité en gestation, à partir du moment où l’on admet (comme il convient) que l’éclosion de la vérité est un processus historique et laborieux, collectif, et pas forcément linéaire. Je m’appuierai sur deux domaines classiques pour réhabiliter l’erreur : celui de science et celui de la politique. Je montrerai avec Bachelard que la science va d’erreur en erreur, je montrerai avec Popper que la démocratie elle-même va d’erreur en erreur, et comment ceux qui n’acceptent pas l’erreur, qui n’acceptent ni la possibilité de l’erreur ni la possibilité de corriger l’erreur sont précisément anti-démocrates, parce qu’ils croient en une vérité absolue, dogmatique.

Mais voilà, je n’ai nullement l’intention de m’en tenir à l’erreur, au sens classique que je viens de définir. S'il est vrai que l’erreur est humaine, alors il faut appréhender la vérité elle-même dans son sens pleinement humain. Et la vérité n’est pas seulement logique ou expérimentale, elle est aussi profondément subjective. C’est en quoi elle est elle-même humaine et non surhumaine. Lorsque Descartes affirme que « je pense donc je suis » est la première des vérités, justement ce n’est pas une vérité comme les autres, c’est une évidence qui a la structure d’une certitude. Il s‘agit là non seulement d'une vérité indubitable mais encore d’une certitude "subjective" en ce sens qu’elle est précisément fondatrice pour le sujet, une certitude qui pour lui ne laisse place à aucune illusion. Or justement, l’illusion est peut-être bien la dimension subjective, la dimension humaine par excellence de l’erreur. Notons que l’illusion n’est pas le contraire exact de la certitude, le contraire de la certitude est le doute. L’illusion serait plutôt une manière de pallier le doute, et chacun sait bien qu’une certitude peut très bien être illusoire. Mais en quoi l’illusion est-elle particulièrement humaine, excusable, et même nécessaire ? L’illusion n’est pas le produit de l’intelligence, du jugement, comme c’est le cas de l’erreur (l’erreur est un mauvais jugement), elle est le produit de l’imagination. C’est en quoi elle est subjective, et plus humaine que l’erreur, laquelle est seulement « fonctionnelle » si l’on peut dire.

J’ai annoncé en outre un troisième concept : celui d’hallucination. Cela nous servira à recentrer le phénomène de l’illusion, en tant qu’imaginaire, dans sa positivité propre. Ce qui compte, c’est de structurer ensemble les phénomènes de l’erreur, de l’illusion, et de l’hallucination. Pour cela, utilisons la structuration lacanienne bien connue, Réel-Imaginaire-Symbolique. Ce sont, selon Lacan, les trois dimensions constitutive du Sujet, et l’on peut penser que c'est l'imaginaire (donc l'illusion, comme on va le voir) qui assure la consistance de l'ensemble. Comme telle, l'erreur serait plutôt en rapport avec le symbolique, tandis que l'illusion serait le propre de l'imaginaire, pendant que l'hallucination, enfin, serait très exactement l'apparence du réel, ou plutôt une apparence se présentant comme Le réel pour le sujet concerné (souvent psychotique, en l’occurrence). Mon propos sera de démontrer que si "l'erreur est humaine", c'est principalement en tant qu'illusion, en tant qu'elle a un rapport avec l'imaginaire et aussi (comme on le verra avec Freud) avec le Désir. La vérité en effet (qui a priori est le contraire exact de l'erreur) n'a pas de consistance suffisante au plan existentiel, elle s'avère très vite impuissante, voire « inhumaine » en tant que telle. L'illusion, quoique négative et dangereuse sous bien des aspects, est positive dans un sens beaucoup plus profond que la simple erreur : je dirais tout simplement qu'elle humanise l'erreur - et peut-être même la vérité.

Concentrons-nous dans un premier temps sur l'erreur proprement dite. Je rappellerai la très classique analyse cartésienne de l’erreur ; ce sera une révision utile pour mieux cerner en même temps le concept de vérité. Je montrerai alors la positivité de l’erreur sur le plan épistémologique et sur le plan politique. Dans un second temps, je me pencherai sur l’illusion, en la comparant notamment avec l’apparence (concept nettement différent) : sa dimension humaine et subjective, sa positivité n’en ressortira que mieux. Enfin il sera question de l'hallucination en tant que structure particulière : ni erreur, ni illusion, mais apparence réelle pour le sujet. Ainsi l'illusion, entre l'erreur et l'hallucination, serait bien une marque de l'humanité...


I - Erreur et vérité


1) L'analyse cartésienne de l'erreur


D'où viennent nos erreurs ? Descartes est formel : toute erreur est par définition une erreur de jugement, et doit être attribuée à la volonté qui juge. Elle n’incombe pas à la sensation, par exemple - il n'y a pas d'erreurs des sens. Pas davantage, l’erreur ne touche l’entendement proprement dit, c’est-à-dire cette faculté qui appréhende, analyse et décortique, qui tisse des relations, mais ne décide pas de ce qui est vrai ou faux. Pour ce qui est des sens, donc, on ne peut pas dire qu'ils se trompent ou qu'ils nous trompent ; par contre, il arrive que nous nous trompions à cause d'eux, mais c'est différent. Pour ce qui concerne l'entendement, notre faculté de concevoir, c'est exactement pareil. "Maintenant, pour ce qui concerne les idées, si on les considère seulement en elles-mêmes, et qu'on ne les rapporte point à quelque autre chose, elles ne peuvent, à proprement parler, être fausses ; car soit que j'imagine une chèvre ou une chimère, il n'est pas moins vrai que j'imagine l'une que l'autre."
Descartes fait une distinction essentielle entre entendement et volonté. Il faut s’y arrêter. La première conçoit, la seconde juge. Notre faculté de juger, de décider, donc d'assentir (donner son assentiment) ou de nier, c'est-à-dire au fond notre liberté, est infinie : elle peut se porter sur n'importe quel objet, elle peut produire des jugements sans limite. Cela ne veut pas dire qu’ils soient justes d’ailleurs. Descartes tient beaucoup à cette liberté de la volonté. Il faut reconnaître que si le mot « choix » veut dire quelque chose, ce pouvoir que nous avons de nous orienter, d’orienter tout notre être (et pas seulement notre esprit) d’un côté ou d’un autre, eh bien un choix est par définition libre. La volonté, le fait de vouloir, signifie la même chose : c’est à chaque fois le sujet tout entier, de façon indivisible, qui « veut » quelque chose. Un choix, un acte volontaire, mais aussi un jugement est indécomposable, il n’est pas mesurable, il n’est donc pas « limité » au sens mathématique du terme : c’est pourquoi notre volonté est infinie. Et notre capacité de nous tromper, par conséquent, est aussi infinie.

En revanche, notre entendement, notre faculté de former et de manipuler des concepts, est fini. Il ne peut connaître n'importe quel objet, ni n'importe comment. La cause principale de l'erreur consiste donc à ne pas contenir la volonté dans les bornes de l'entendement. Pour ne pas se tromper, il ne faut pas vouloir se prononcer sur des objets inconnaissables, et il faut conformer les processus de la recherche de la vérité aux règles de la méthode (commencer par le plus simple et le plus évident, enchaîner les énoncés par des chaînes de raison, à la façon des mathématiciens). La célèbre méthode de Descartes. Il faut surtout éviter la prévention et la précipitation, c’est-à-dire juger avant de savoir suffisamment. Là est la source principale de l’erreur. L'erreur est humaine, donc, non pas parce que l'entendement de l'homme est limité, mais au contraire parce que sa volonté (son pouvoir de juger) est infini. Je m’explique. Constater l’impouvoir de notre intelligence (l’entendement), ne pas comprendre quelque chose, ce n’est pas se tromper, ce n’est pas cela l’erreur. L’erreur vient de la volonté lorsque qu’elle décide et lorsqu’elle affirme quelque chose qu’elle tient pour vrai, alors même que l’entendement ne l'a pas encore conçu comme tel.

Cette conception cartésienne de l’erreur a une dimension morale assez facile à percevoir. En effet, si notre volonté est libre, et si c’est la volonté qui se trompe, alors nous sommes évidemment responsables de nos erreurs. D’une certaine manière, ici, l’erreur est une faute. Souvenons-nous de ce que disait si bien Pascal : "appliquons-nous à bien penser, là est l'unique principe de la morale". Mais cela ne veut pas dire que pour Descartes, ou même Pascal, ce savant génial, l'erreur soit condamnable. L’erreur n’est pas une faute, car elle est inévitable. Celui qui ne se risque pas à juger, celui qui ne cherche pas la vérité ne se trompe jamais. Pascal et surtout Descartes savent trop combien l’erreur est inévitable et nécessaire car, contrairement aux philosophes de l'antiquité qui pariaient sur un savoir fixe et éternel, eux parient déjà sur un progrès possible de la connaissance.

Un philosophe français du début du siècle, fervent admirateur de Descartes, soulignait la positivité de l'erreur : non seulement il tentait de la dédramatiser mais il lui trouvait une certaine grandeur. Il s'agit d'ALAIN : "Quiconque pense commence toujours par se tromper. L'esprit juste se trompe d'abord tout autant qu'un autre ; son travail propre est de revenir, de ne point s'obstiner, de corriger selon l'objet la première esquisse. (...) Toutes nos erreurs sont des jugements téméraires, et toutes nos vérités, sans exception, sont des erreurs redressées. (...) Descartes disait bien que c'est notre amour de la vérité qui nous trompe principalement, par cette précipitation, par cet élan, par ce mépris des détails, qui est la grandeur même. Cette vue est elle-même généreuse ; elle va à pardonner l'erreur ; et il est vrai qu'à considérer les choses humainement, toute erreur est belle. Selon mon opinion, un sot n'est point tant un homme qui se trompe qu'un homme qui répète des vérités, sans s'être trompé d'abord comme ont ait ceux qui les ont trouvées."
Notons quand même que si l’erreur est « pardonnable », c’est qu’elle a bien une dimension morale ! Il y a quelque chose de très ambigü dans la citation : « ce mépris des détails qui est la grandeur même… ». Ce que dit Alain, c’est qu’il n’y aurait pas d’impulsion scientifique, pas d’enthousiasme sans ce mépris des détails (il ne faut pas s’y arrêter), mais ce mépris des détails (qui est le propre de la philosophie et non de la science) est une cause d’erreur…


2) Positivité de l'erreur


a) Aspect épistémologique

Pendant longtemps deux courants de pensée se sont affrontés concernant les problèmes liées à la connaissance : ce sont le rationalisme intellectualiste (Descartes, Leibniz…) et l’empirisme (Locke, Hume…). Ces doctrines divergent notamment (mais pas seulement) quant à la portée de la preuve expérimentale. Les rationalistes affirment que l’expérience peut éventuellement confirmer, mais non réfuter une théorie. Le fait qu’une expérience ne marche pas prouve certes qu’une hypothèse ne fonctionne pas, mais non que l’ensemble de la théorie est fausse. Pour le rationaliste, la théorie prime toujours sur l'expérience.

L'empirisme accorde au contraire à l'expérience un rôle décisif : c'est la théorie de l'expérience cruciale défendue en tout premier lieu par Bacon. Son raisonnement a la même structure que ce qu'on appelle raisonnement par l'absurde en mathématiques. On déduit la vérité d'une proposition à partir de la fausseté de son contraire. Pour l’empiriste l'expérience se voit conférer le pouvoir, non plus de vérifier, mais, à l'inverse, de réfuter une théorie : une seule expérience négative, non-concluante, oblige à réviser toute la théorie. En quoi l’erreur est-elle positive ? Le fait qu’une expérience échoue prouve qu’une hypothèse ou qu’une théorie était erronée. Ce n’est pas l’erreur par elle-même qui est positive, mais la démarche qui consiste à chercher l’erreur !

C'est ce qu'exprime aussi l'épistémologue contemporain Popper, qui affirme la possibilité d'expériences cruciales susceptibles de réfuter une théorie. Pour Popper, la vérité d'une théorie ne se décide pas en fonction de sa résistance absolue à l'erreur, mais au contraire à sa capacité d'envisager, de prévoir les conditions où elle pourrait faillir, c'est-à-dire être fausse. Ce qui caractérise une science négativement, ce n'est donc pas son caractère infaillible, mais sa capacité interne à produire des procédures d'auto-falsification. Une théorie scientifique doit pouvoir dire dans quelles occasions elle pourrait être fausse. Une science admet la sanction de l’expérience, autrement dit elle admet pouvoir se tromper, sinon précisément ce n’est pas une science. Que cela soit en science ou en politique, l'important n'est pas de fonder une théorie ou une pratique sur des arguments intangibles et indubitables, mais de prévoir négativement des instances de contrôle. Popper parle alors d'une "ouverture d'univers" par opposition au monde clôt, par exemple d'inspiration platonicienne.

b) Aspect politique

Quelles sont les politiques qui n’admettent pas l’erreur, c’est-à-dire qui ne reconnaissent pas la légitimité de l’erreur ? Ce sont celles qui ne se remettent jamais en question : ce sont des politiques tyranniques, parce que dans ce cas la politique s’exprime par une voix unique qui ne peut se tromper, ou des politiques démagogiques parce qu’elles se fondent essentiellement sur le mensonge.

Donc le seul univers politique réel (pour reprendre le concept de Popper), c’est-à-dire un univers ouvert, c’est la démocratie. La démocratie fonctionne sur la base de projets qui ont valeur d’essais, des projets révisables. Ne serait-ce que par le jeu du vote populaire. Le caractère éventuellement erronés de ces essais ne constitue en rien un échec politique, du moins pour la démocratie, puisqu’ils vont être le ressort de l'alternance démocratique. Celle-ci ne serait donc pas possible si les dirigeants politiques ne se trompaient pas !

Ce qui est grave, ce ne sont pas les erreurs politiques. C’est l’incapacité de reconnaître ses erreurs. L’incapacité d’infléchir une politique pourtant critiquée par le peuple, l’incapacité de reconnaître comme normale et légitime l’alternance politique, etc. Cette alternance ne serait pas possible dans une société composée d'hommes politiques convaincus de détenir une vérité de droit. Malheureusement on peut se demander si nous ne vivons pas, spécialement en France, dans une société où les politiques semblent incapables de reconnaître leurs erreurs... La démocratie est faillible par essence, et c’est ce qui fait sa vertu. Par contre, ce qui complique les choses, c’est l’incompatibilité absolue de l’Etat avec l’erreur. L’Etat, depuis Machiavel, est censé avoir toujours « raison » ; l’Etat ne peut pas se tromper au sens où l’Etat est une institution et non un Sujet ; ce sont les représentants de l’Etat (qui sont en même temps les représentants du peuple) qui, en tenant les rênes de l’Etat, peuvent se tromper. Mais le vice politique par excellence, c’est de rabattre sur l’infaillibilité de l’Etat (la souveraineté de l’Etat, en fait, tout à fait légitime) l’infaillibilité supposée des gouvernants. La démocratie, normalement, prévoit des dispositifs de contrôle, elle veille à la séparation des pouvoirs de manière à ce que l’un soit en mesure de limiter et même de falsifier l’autre.

Nous avons expliqué le mécanisme de l’erreur, nous l’avons évalué de façon relativement positive, mais nous n'avons pas expliqué vraiment pourquoi nous nous trompons, pourquoi nous errons... Je veux dire : nous n’avons pas expliqué cette volonté d’erreur, comme si errer était d’une certaine façon la seule façon d’exister. Comme si la vérité seule était invivable. C’est alors que nous nous berçons d’illusions. Nous allons voir que le ressort subjectif de l'erreur appartient précisément à l'illusion.


II - Apparence et illusion

D’abord, reprenons l'analyse cartésienne de l'erreur et montrons ses limites. Nous nous trompons, selon Descartes, parce que nous laissons aller notre volonté ; si nous avons la résolution de ne pas nous tromper, une ferme attention aux règles de la méthode doit permettre d'éliminer toute erreur. Cependant, nous faisons souvent l'expérience d'une erreur qui résiste à la démonstration de la vérité et de la réfutation la plus méthodique. On doit alors soupçonner que des raisons plus profondes, et d'une autre nature, enracinent l'erreur dans la conviction. Feud a souligné un tel mécanisme de production "positive" de l'erreur dans son livre L'avenir d'une illusion. J'en parlerai plus tard. La cause de l'erreur peut être, d'après Freud, le désir, et dans ce cas l'erreur doit être appelée illusion. Kant a décrit un phénomène semblable en montrant pourquoi l'esprit humain cherche inlassablement à connaître et à décrire des objets inconnaissables, parce que dépassant les limites de toute connaissance possible (Dieu, l'âme, le monde comme totalité). La raison est poussée à cette recherche impossible par une "tendance", un véritable désir théorique auquel elle ne peut renoncer, et qui la conduit à l'illusion transcendantale de la connaissance métaphysique. Et cette illusion est positive, inévitable. Mais on ne peut pas traiter l'Illusion sans évoquer celui qui s'est originellement, depuis les débuts de la philosophie, rebellé contre elle : j'ai nommé Platon.


1) Le monde vrai et le monde des apparences selon Platon


Le terme d'apparence a une signification plus objective que celui d'illusion : il situe la question sur un plan d'emblée ontologique, au niveau de l'être et pas seulement au niveau du sujet. Pour Platon, ce monde visible et matériel n’est à proprement parler qu'une apparence, une région défavorisée de l’être où tout n’est qu’imparfait et injuste parce qu'essentiellement précaire. Le monde sensible ou matériel n’est que la copie, l’imitation d’un autre monde, celui des Idées ou Essences, qui sont les vrais modèles de choses existantes ici-bas et la seule réalité valable. Les Idées, c'est ce qui se donne par une intuition intellectuelle, c'est la définition théorique des choses, leur être éternel. Platon donne une version imagée de cette théorie dans la célèbre allégorie de la caverne (La République). Le monde où vivent les hommes est comparé à une caverne, et tout ce que voient les hommes dans cette prison se résume à des ombres défilant le long d’une paroi de la caverne, autrement dit le simple reflet des choses réelles extérieures à la caverne, mais projetées grâce la lumière d’un feu également extérieur. Les prisonniers prêtent à ces ombres une réalité qu’évidemment elles ne sauraient avoir. La sortie de la prison est alors identifiée à la connaissance philosophique, c’est-à-dire la vue des choses véritables qui sont des Idées.

Pour illustrer cette théorie célèbre de Platon, on pourrait prendre pour exemple contemporain une fiction cinématographique comme Matrix. On y trouve tous les ingrédients de l'allégorie de la caverne. Dans Matrix, comme les prisonniers de la caverne, les humains enfermés dans la matrice ne voient que ce que les machines veulent bien leur laisser voir. Ils sont amenés à croire que ce qu’ils voient et entendent dans la matrice est la réalité. Pourtant, ce qu’ils voient ne sont que les ombres de la réalité.

Cependant l’apparence, par définition objective, n’est possible que sur la base d’un ressort subjectif, qui lui relève de l’illusion. J'aurais pu prendre au autre exemple, tout aussi parlant, de fantasmagorie cinématographique, avec la série X-files. Les extra-terrestres, dans ce cas, ne relèvent pas de l'apparence mais bien de l'illusion, je veux dire que cette illusion s'enracine dans une subjectivité, dans une histoire, un drame personnel, une perte, un deuil non effectué, une culpabilité. L'idéalisme de Mulder, qui est tourmenté, n'est pas celui de Morpheus, qui est serein et croyant. L'illusion porte sur le sujet, quand l'apparence porte sur l'objet. (Cependant j'évoque plus loin un cas singulier d'"apparence subjective" : l'hallucination.) Dans un premier temps, chez les auteurs classiques que nous avons déjà rencontré, l'illusion est bien thématisée - et pas seulement l'erreur - mais elle est rapportée d'abord aux facultés sensitives.


2) De l’illusion des sens à la "folle du logis"


Voyons donc le type d’illusions qui s’attache naturellement aux sens. Descartes distingue deux substances, la substance pensante et la substance étendue, et il ne lui viendrait pas à l'esprit que la seconde est moins réelle que la première. Pour lui l’illusion se rapporte d’abord à une limitation naturelle des sens. C’est presque, comme le dit Malebranche, un problème de “perspective”, car ce que je vois, touche, entend, ce n’est jamais qu’un aspect de quelque chose, une perspective, un profil du monde. Attention, n'allons pas confondre pourtant erreur et illusion. On a bien dit que pour Descartes seul le jugement pouvait se tromper. En l’occurrence il lui appartient de confirmer une sensation (c’est alors une perception). Il n'existe pas de sensation fausse : ce sont les perceptions, c'est-à-dire les jugements qui peuvent l'être. Il n'empêche que le propre des sens, c’est bien l’illusion, en quoi l'illusion est bien rapportée à une faculté du sujet et non à la réalité elle-même comme chez Platon. L’origine de l’illusion n’est donc pas intellectuelle mais sensorielle. A ce stade, aucune positivité ne lui est reconnue : il s’agit surtout de dénoncer l’illusion, de l’expulser, d’autant plus que l'illusion des sens se transforme en rêve et nourrit la folle imagination.

Comme on le sait, Descartes va inventer en philosophie une méthode radicale de remise en question des sens, coupables à ses yeux d’illusion. C’est l’”épochè” ou le doute hyperbolique. Il consiste à douter, une bonne fois pour toute, c’est-à-dire radicalement mais provisoirement, de la réalités des choses. Selon Descartes, si l’on s’en tient aux sens il est impossible de savoir si l’on rêve ou si l’on veille. Le rêve est en effet le grand ennemi de la raison et de la science. Dans le cheminement du doute, pour pousser celui-ci à l’extrême, Descartes dans les Méditations métaphysiques se figure un certain “mauvais génie”, fort puissant et pervers, qui n’est autre qu’une sorte de grand illusionniste : celui-ci serait même capable d’insinuer en moi des idées fausses. (Là encore, c'est le scénario de Matrix : le malin génie, c'est la matrice). Or, nous dit Descartes, quelque soit la faiblesse de mes sens, quelque soit la malignité de ce génie, personne ne pourra contester et moi-même je ne pourrais jamais douter du fait que, lorsque je pense (et il faut penser ne serait-ce que pour douter), c’est bien moi qui pense, c’est bien moi qui existe. Ainsi est posée une fois pour toutes la prééminence et la vérité de la conscience (c'est la liberté de choix de Néo) sur tout ce qui existe (même si, du point de vue de Descartes, il faudra bien rétablir l’existence de Dieu comme condition de mon existence). L’existence humaine serait ainsi un champ de bataille entre raison et imagination, conscience et illusion. Et c'est aussi ce que pense et ce qu'écrit Pascal, lorsqu'il qualifie l'imagination de "maîtresse d'erreur et de fausseté" ou lorsque Malebranche la surnomme "la folle du logis". Je cite Pascal : "C'est cette partie dominante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l'était infaillible du mensonge. (...) La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses. (...) Cette superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres. Elle fait croire, douter, nier la raison. Elle suspend les sens, elle les fait sentir. (...) Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? Toutes les richesses de la terre (sont) insuffisantes sans son consentement."


3) Illusion et désir


Je l'avais suggéré dès l'introduction : la vérité n'a pas de consistance suffisante au plan existentiel. Pascal nous dit que la raison ne peut mettre le prix aux choses. Alors qu'est-ce qui donne leur prix aux choses ? Le propos de Pascal est extrêmement subtil, comme toujours, parce qu'il veut nous montrer que si la raison ne peut rien contre l'imagination, si la philosophie ne peut lutter contre la folie, seule la foi et seule la religion le peuvent. Or il est au autre génie qui a bien vu que ce qui donnait leur prix aux choses, c'était l'imagination mais aussi le désir, et que ce mélange de désir et de fabulation culminait justement dans la religion. Une illusion prise très au sérieux par Freud dans L'Avenir d'une illusion. Si la religion est une illusion, une illusion à laquelle on peut supposer un avenir, c'est que l'illusion, par définition, est structurée comme un a-venir puisqu'elle est sous-tendue par le désir. C'est pourquoi en même temps le propre d'une illusion, et de la religion en particulier qui continue de nous illusionner et de nous rassurer sur le rôle d'un Père, le propre d'une illusion est de durer (alors que l'erreur, de son côté, disparaît aussitôt qu'elle est pointée). Je cite maintenant dans son intégralité ce texte célèbre, d'autant qu'il introduit vers la fin à une tout autre problématique, celle de la psychose, du délire, ce qui nous amène à l'hallucination.

"Une illusion n'est pas la même chose qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. L'opinion d'Aristote, d'après laquelle la vermine serait engendrée par l'ordure - opinion qui est encore celle du peuple ignorant -, était une erreur (...) ; alors que c'était une illusion de la part de Christophe Colomb, quand il croyait avoir trouvé une nouvelle route maritime des Indes. La part du désir que comportait cette erreur est manifeste. On peut qualifier d'illusion l'assertion de certains nationalistes, assertion d'après laquelle les races indogermaniques seraient les seules races humaines susceptibles de culture, ou bien encore la croyance d'après laquelle l'enfant serait un être dénué de sexualité, croyance détruite pour la première fois par la psychanalyse. Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée de désirs humains ; elle se rapproche par là de l'idée délirante en psychiatrie, mais se sépare aussi de celle-ci même si l'on ne tient pas compte de la structure compliquée de l'idée délirante. L'idée délirante est essentiellement - nous soulignons ce caractère - en contradiction avec la réalité ; l'illusion n'est pas nécessairement fausse, c'est-à-dire irréalisable ou en contradiction avec la réalité. (...) Ainsi, nous appelons illusion une croyance quand, dans la motivation de celle-ci, la réalisation d'un désir est prévalente, et nous ne tenons pas compte, ce faisant, des rapports de cette croyance à la réalité, tout comme l'illusion elle-même renonce à être confirmée par le réel." (Sigmund Freud, L'avenir d'une illusion, 1907)

Freud pense que l’illusion est inhérente à l’affectivité humaine, qu’elle est enracinée en l’homme. Et il fait de l’illusion un dérivé du, désir essentiellement inconscient. On pourrait résumer schématiquement en disant que l’illusion est une croyance fondée sur un désir ou, comme on dit couramment, que cela consiste à prendre ses désirs pour la réalité... Mais Freud ne condamne ni le désir ni l’illusion, puisqu’ils sont ancrés au plus profond du psychisme humain. Il y a dans la tradition freudienne un terme qui s'applique à la bonne manière de s'illusionner : c'est la sublimation. Le fait d'orienter ses désirs et même ses pulsions vers une fin compatible avec la vie, l'Autre, la société, la beauté, etc. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut magnifier l’illusion, en sublimant le désir. D'ailleurs aucune de nos activités les plus nobles n'échappe à cette alternative : ou bien refouler nos désirs, et c'est la névrose, ou bien les sublimer. Le désir de savoir, par exemple, qui conduit à la science, n'est qu'un dérivé du désir de voir, de la pulsion scopique. Etc. On peut dire que Freud a donné toute sa mesure à l’illusion : pour lui il faut s’en servir, par exemple dans ce qu’on appelle le “transfert” en psychanalyse. Rien d'autre qu'une certaine forme d’illusion qui peut s'avérer efficace ! Il ne s’agit donc pas comme dans la philosophie classique de devenir le maître de ses désirs afin de dominer l’illusion. Il s’agit surtout de ne pas confondre le désir avec sa satisfaction, avec ses objets ; autrement dit il s'agit de ne pas tuer le manque. Toutes les positions existentielles pathologiques (névrose, psychose, perversion) s'ingénient à tuer le manque, et d'une certaines façons cherchent à éliminer trop vite l'illusion. Ne pas confondre le désir et ses objets, donc, ainsi l'on ne confondra pas la part nécessaire d’illusion, en tant que moteur de l’existence, avec telle ou telle illusion néfaste.

Avant de traiter de l'hallucination, je serais bien fautif de passer sous silence une dernière illusion, ou plutôt une apparence ni ontologique ni tout à fait subjective, mais qui a plutôt la structure d'une illusion parce qu'elle repose sur un désir ou une tendance profonde de l'esprit humain, de la raison elle-même en fait : c'est l'"apparence transcendantale" selon Kant.


4) L'apparence transcendantale (Kant)


Kant a restitué l’illusion au fonctionnement même de la raison : elle fait partie de la structure de l’esprit humain. La raison produit elle-même l’illusion. La plus grande illusion de l’homme rationnel, intelligent, consiste à croire qu’il connaît le réel lui-même. Tout ce que l’on sait, pourtant, ce ne sont que les phénomènes relatifs à notre constitution, la réalité dans l’espace et le temps. On ne connaît pas les “choses en soi”, les noumènes. Or même quand on reconnaît cette impossibilité, la raison est ainsi faite qu’elle insiste quand même et développe, par exemple, des idées métaphysiques comme celles de Dieu, de l’âme immortelle, etc. Ce sont des illusions qu’il ne nous est pas possible d’éviter. Ce n’est pas non plus souhaitable, car l’illusion métaphysique est porteuse d’espérance. Reste à bien l’utiliser, à la diriger vers des idées nobles et non vers les l’égoïsme. C'est dire que la solution réside dans la distinction entre deux types de raison, la raison théorique et la raison pratique. Il faut connaître les limites de la raison théorique, limites au-delà desquelles elle devient métaphysique délirante ; mais le passage de la limite s'effectue néanmoins par la raison pratique. La métaphysique est spéculativement et dogmatiquement impossible, mais pratiquement c'est-à-dire moralement nécessaire.

Nous sommes loin de Descartes pour qui l’illusion résidait dans les sens. Kant pense au contraire que l’intuition sensible est la condition d’une expérience objective. Simplement, nous ne connaissons que des objets, jamais les choses en soi. Maintenant l’illusion réside dans l’idée, dans certaines idées. C’est aussi ce que pense Marx qui transpose la critique kantienne de la métaphysique à ce qu’il appelle l’idéologie. Marx montre que l’idéologie — système d’idées ou représentation du monde — est déterminée par la situation matérielle des hommes. L’illusion consiste ici à prendre pour vraies des idées (par exemple les idées bourgeoises, en tant qu’elles se prétendent universelles), alors qu’elles résultent d’un processus déterminé par les rapports de production.

Je pense avoir suffisamment balayé rationnellement le champ de l'illusion pour en avoir montré toute la positivité. J'aurais pu continuer, justement dans la lignée de Marx ou d'une relecture de Marx, en montrant la positivité et la nécessité de l'utopie - notamment sociale et politique - comme étant une pensée radicalement opposée au dogmatisme. L'utopie, une illusion critique et imaginative contre l'illusion dogmatique. Il y aurait beaucoup à dire.

C'est sur l'hallucination que je vais terminer, afin de boucler - peut-être illusoirement - cette errance dans le royaume de l'erreur. Disons-le tout de suite, l'hallucination n'est pas une illusion, encore moins une erreur, mais une apparence au sens exact du terme : soit ce qui se donne pour réel sans laisser prise au moindre doute de la part du sujet. Je forme en outre l'hypothèse, suivant en cela Freud et Lacan, qu'au regard du désir, l'hallucination est la condition de possibilité - positive dans ce sens - non seulement de l'erreur et de l'illusion, mais encore de toute perception "normale".


III - L'Hallucination ou l'apparence réelle



1) Bonnes et mauvaises perceptions


Revenons un instant sur l'illusion. D’une façon générale on dirait que l’illusion consiste à croire au lieu de savoir, de se projeter tout entier dans une croyance. Cela suppose qu’inversement une perception ou un savoir corrects engendrent la certitude, contraire de la croyance. Cependant la certitude est un savoir clos, fermé sur lui-même, définitif. Est-il bien sûr que cela constitue l’essence d’une perception vivante, nécessairement dynamique, tout comme le savoir ? Merleau-Ponty est l’auteur d’une théorie de la perception qui inverse les présupposés classiques : ce n’est pas la mauvaise, mais la bonne perception qui repose nécessairement sur une croyance, ou si 'on préfère, sur une illusion. La perception n’est pas une simple faculté mais une façon d’habiter le monde. ”Je dis que je perçois correctement quand mon corps a sur le spectacle une prise précise, mais cela ne veut pas dire que ma prise soit jamais totale (...). Dans l’expérience d’une vérité perceptive, je présume que la concordance éprouvée jusqu’ici se maintiendrait pour une observation plus détaillée : je fais confiance au monde. Percevoir c’est engager d’un seul coup tout un avenir d’expériences dans un présent qui ne le garantit jamais, à la rigueur, c’est croire à un monde.” Par exemple une vision normale, voire excellente comme celle d'un coureur automobile, est une vision anticipative et confiante, non parce qu'elle serait en sommeil mais au contraire parce qu'elle est concentrée. Alors elle peut établir des connexions, et voir plus large. Le point de vue est intéressant car il est suffisamment global pour rendre compte à la fois des bonnes perceptions qui équivalent à des “prises” ou à des connexions suffisantes, avec une anticipation possible, et aussi des mauvaises perceptions qui impliquent un flottement, des connexions insuffisantes, et une anticipation impossible.

Cela débouche en fait sur une première théorie de l’hallucination, comme modèle de l’illusion. Il s’agit pour Merleau-Ponty d’expliquer les hallucinations, non comme on pourrait le penser comme une croyance excessive, mais comme un défaut de croyance en la réalité. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire dans la perception normale, l’”on croit à ce que l’on voit” : c’est une intégration, une incorporation, une introjection du monde. Dans l’autre, dans l’illusion, l’on voit ce que l’on croit : c’est un décentrement, une abstraction, une projection de soi.

Cependant, il y a eu un débat entre Merleau-Ponty et Lacan, et le point de vue de ce dernier me paraît plus intéressant.


2) L'hallucination originelle et la perte de l'illusion


Déjà, du point de vue de Lacan, il faut annoncer que l'hallucination n'est pas une illusion, et qu'elle n'est pas non plus une perception (ni bonne, ni mauvaise). L'illusion consiste bien à voir ce que l'on croit, mais l'hallucination est plus radicale, elle consiste à croire que l'on voit (ou que l'on entend). C'est une apparence réelle, non pas au sens où la réalité serait confondue avec l'apparence (comme chez Platon), mais une manifestation qui elle-même se fait passer pour réelle et ne laisse, chez le sujet hallucinant, aucune place au doute.

L'hallucination n'est pas une mauvaise perception, parce qu'il faudrait en faire un état conscient mais conscient-déficiant, une sorte de "mauvaise foi" involontaire pour reprende l'idée de Sartre ; alors que c'est un phénomène qui s'explique par l'inconscient selon Lacan.

L'hallucination est constitutive du désir originaire de l'homme, voilà la thèse, en ce sens que l'objet premier du désir - que Lacan appelle la "Chose" - est nécessairement un objet halluciné. Cette chose ("maternelle" si l'on veut anthropologiser...) "apparaît" en quelque sorte dès les premiers instants, de sorte qu'elle n'est absolument pas symbolisée ni symbolisable, d'autant plus qu'elle est immédiatement perdue, en fait cette chose maternelle (objet primitif du désir) n'existe qu'en tant que perdue. Et elle le restera à jamais, sauf qu'elle donnera lieu à des substituts, des "objets" non plus hallucinés mais fantasmés. Donc hallucination de la chose ; fantasme de l'objet, l'objet représentant un "reste" métaphorique ou métonymique de la Chose...

Que se passe-t-il dans les hallucinations, et que répètent-elles de cette hallucination originelle quant à l'objet du désir ? Lacan dit que "ce qui est forclos du symbolique fait retour dans le réel". On pourrait dire encore : ce que Freud appelait le trauma se manifeste quand même, par une apparition mentale qui se dissimule elle-même comme mentale, comme subjective, et qui se présente comme extérieure et objective. Avec un sentiment de certitude - au moins sur l'instant - quasi-absolu. Si en plus le sujet est délirant, alors il n'en démordra pas : non seulement ce qu'il a vu est réel, mais il justifiera l'ignorance des autres à cet égard en invoquant la manipulation, le complot, qui naturellement fait des autres des "illusionnés"...

Avec l'hallucination nous sommes dans le pathologique. Pourquoi ? Parce que justement la fonction positive de l'illusion n'est plus disponible. La part de croyance dans le monde qui accompagne toutes nos actions, toutes nos perceptions, toutes nos pensées, a été remplacée par une certitude absolue : une prétention à la connaissance du réel qui cette fois semble sans borne, et signe sans conteste la psychose.

Je conclurai simplement par là, en évitant justement de trop généraliser et de trop conclure : l'exemple de l'hallucination nous montre bien que l'on ne peut se passe d'illusion sans sombrer dans la folie...
Publié par Didier Moulinier à l'adresse 07:16
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